Seul dans cet univers hostile

Je viens d'ici :

On me tira le poignet, d'un coup sec, par surprise. Sans cet appuis, je manquai de m'étaler contre le sol mais la personne qui me tenait me releva en faisant pression sur ma main. J'eus l'impression qu'elle voulait me tordre le bras et je laissai échappé un léger gémissement de douleur. Qu'est-ce qui lui prenait ? Quand l'inconnue parla, je la reconnus enfin. C'était Shina. Comment avait-elle pu me retrouver ? Je tremblais rien qu'à savoir sa présence. Sans les voir, je m'imaginais les flammes de ses yeux rouges animées par une fureur inimaginable. Elle m'ordonna de cesser de pleurer et me demanda de trouver un seul moment où elle m'avait menti mais je n'avais que faire de ses justifications. J'avais compris le mal qui l'habitait et personne ne devait être en mesure de calmer celui-ci. Ses paroles n'étaient que mensonges pour se convaincre elle-même de la raison de son acte. Elle était brutale. Je voulus me recroqueviller et ainsi échapper à tout cela mais elle m'en empêchait. Des larmes perlaient sur mes joues. J'étais coincé. J'avais peur de ce qu'elle allait me faire. Je ne pouvais rien faire contre elle. De mon impuissance, je m'en voulu à moi-même. Elle continuait ses vaines paroles, m'insultant, ajoutant qu'elle n'avait pas caché son unique but, de m'amener chez les "Anges Lo". Elle arguait qu'elle n'avait aucun reproche à se faire que c'était ma personne qui devait être remise en question.
La pluie se calmait, me laissant désemparé, terriblement soumis à un joug infidèle. Je la vis appuyer sur un petit bouton gris du bracelet alors qu'elle s'exclamait au ciel le domaine des "Anges Lo" en réponse à un voix étrange sortie de nul part. Je sentis le vent me caresser, s'emparer de moi. Que... Que se passait-il ? Comment faisait-elle ça ? Qui était-elle réellement ? Je me sentis arraché au sol, comme si l'on me séparait d'une partie de mon être. J'étais poussé dans tous les sens et ne semblais retenu que par le bras. Je criai mais ma voix était emportée si rapidement que j'avais à peine le temps de m'entendre moi-même. Enfin, elle me relâcha devant un ciel coloré. Qu'était-ce encore que cet endroit ? Tout était si lumineux. Tellement lumineux que mes yeux me piquaient et que je n'arrivais plus à voir. Je fermai prestement mes paupière pour éviter cet éclat impitoyable. J'entendis Shina s'éloigner de nouveau et demander d'aller à la demeure au vent qui recommençait à souffler. Elle disparut une nouvelle fois, me laissant seul dans cet univers hostile. À peine fut-elle partie que je m'effondrai, à la fois soulagée et apeuré de son départ. Je me recroquevillai, voulant échapper à ce nouveau cauchemar. J'étais à la lisière de deux mondes, là ou l'antigravité ne pouvait pas encore me soulever. Pourquoi étais-je une nouvelle fois abandonné ? Où se trouvait mon cercle ? Je voulais mon cercle !

HRP:

« Cléo, tu devrais y aller, quand même, non ?
- Oui, oui, je suis en train...
- Il doit être perdu, le pauvre. Tu as assez dormi, dépêche-toi.
- Oh, je suis sûre qu'il va croiser d'autres enfants d'ici là... J'ai bien le temps... Et puis il fait pas beau...
- Cléo !
- Roh, c'est bon... »

Mlle Chat roula sur le dos, s'étira, bâilla longuement.

« Darius, t'es vraiment trop sérieux. T'as qu'à y aller, toi.
- Tu sais bien que je garde la boutique », soupira l'Ours, qui s'affairait à remettre de l'ordre dans ses rayons.
« Pour une fois, on pourrait échanger les rôles, je garderais la boutique pour toi...
- Je t'ai déjà dit, ici c'est chez moi, je ne supporterais pas d'en partir. Ce n'est pas une question de confiance en toi, mais tu serais bien capable de t'endormir ou de quitter la boutique dès que tu en auras assez. »

Vexée, elle se redressa et s'ébroua vigoureusement.

« Puisque tu en meurs d'envie, je m'en vais. »

Darius leva les yeux au ciel, marmonna quelque chose dans sa barbe et reprit son rangement. Cléopâtre jeta un regard torve à l'extérieur visible par une fenêtre. Même si l'orage s'était arrêté, il bruinait. Et la pluie, comme bien des chats, Cléopâtre n'aimait pas du tout. Elle sentait déjà que son pelage avait gonflé avec l'humidité, et ne supportait pas cette sensation.

« Tu es sûr de ce que tu as vu ? J'ai pas envie d'aller dehors pour r...
- Écoute, les deux points du plan représentant la fille que tu as envoyée et le nouveau sont partis ensemble en Courant d'Air - vu leur rapidité de déplacement, ça ne laisse aucun doute. Apparemment, elle l'a laissé dans son domaine et est repartie aussi sec chez les Cow-Boys ; le point du nouveau n'a pas bougé depuis un bon bout de temps, tu peux vérifier sur le plan de ton brace...
- Bon, bon, j'ai compris », grommela la petite chatte.

Sans plus de cérémonie, elle se glissa hors de la Rue de la Fortune, ignorant le remerciement de Darius. Une de ses oreilles tressaillit sous le contact d'une première goutte d'eau. Ça commençait bien. Enfin, elle allait faire la connaissance d'un nouvel enfant, tant mieux !

Alors qu'elle se dirigeait vers le Domaine des Angelots en trottinant, elle se laissa aller à son imagination. Qu'avait-il bien pu se passer entre les deux gosses ? A quoi ressemblait le nouveau ? Peut-être s'était-il disputé avec cette fille aux cheveux rouges - dont elle ne savait toujours pas le nom. Non, ce n'était pas possible, pas si tôt ! Ah, elle détestait ne pas savoir.

Elle ne tarda pas à arriver devant les grandes grilles du Domaine, qu'elle avait déjà eu l'occasion de traverser une fois avec la petite Laurelin. Qui avait disparu. C'était triste. Elle n'était ni la première ni la dernière enfant arrivée "par erreur", mais Mlle Chat ne s'attendait pas à ce qu'elle soit également concernée par cette horrible sélection. L'idée de la disparition régulière de ce qui était inutile à Infans la désolait. Elle n'aimait pas cette explication. C'était trop cruel. Sans compter que cette Laurelin avait vraiment besoin de fréquenter la colonie, et que... Non, non, ne pas y repenser. Elle avait un devoir à accomplir - pour une fois.

Une silhouette était recroquevillée devant la grille du Domaine. C'était lui. Apparemment, l'altercation qu'il avait eue avec la fille aux cheveux rouges était plus sérieuse que prévue. Ou alors était-il malade ? Une lueur inquiète dans ses yeux verts scintillants, Cléopâtre s'avança à petits pas. Elle avait l'étrange impression qu'il pleuvait plus intensément autour du garçon. C'était idiot. Sûrement une impression.

« Petit ? Ça ne va pas, tu as mal quelque part ? Comment tu t'appelles ? »

Elle lui donna un coup de museau encourageant sur l'épaule.

« Ne t'inquiète pas, ça va aller maintenant. »

Des pas. Dans l'eau. Souples. Légers. Une forme s'approche. Un petit cliquettement de collier. Tout doucement. La pluie nous entoure. L'éclat de deux yeux profonds où l'on pourrait se noyer qui transcendent les alentours. S'en suivie une voix. Petit ? Qui êtes-vous ? Où suis-je ? Nul part... Perdu... Loin de chez moi... Si j'ai mal ? Je ne sais pas... La pluie est illuminée. De petits arc-en-ciel dorés. Des millions de Soleil, si lointain qui se rapprochent si vite... Non, aucun soleil, juste une voix et la pluie. La pluie brille, éclairée de l'intérieur par de nombreux petits fragments de poussière doré. Je sens quelque chose qui me touche l'épaule. La voix continue, elle me dit que ça va aller maintenant. Sa voix... celle d'une :

« Princesse. »

Je ne sais pas pourquoi mais je me sens protégé par cette forme indistincte. Mes yeux se mettent à pleurer tout seuls. Je passe ma main dans sa fourrure. Je la caresse doucement, rassuré par sa présence. Je tourne lentement ma tête dans sa direction. Un museau fragile d'où coulent quelques gouttes de pluie. Deux beaux yeux profonds qui veillent avec bienveillance. Un visage légèrement allongé. Les poils plaqués contre le corps par l'eau qui lui donnent une apparence si fragile. Elle veille sur moi, pourtant vu nos tailles, ce aurait surement dû être l'inverse, mais ça ne me choque pas du tout. Au contraire, ça me paraît tout à fait normal, comme s'il ne pouvait pas en être autrement. Un faible sourire se dessine sur mon visage. J'articule de nouveau :

« Princesse. Ne me laissez pas tout seul. S'il vous plaît. »

Je la serre contre moi, comme si c'était tout ce qu'il me restait mais à la fois comme on embrasserait une fleur, avec tendresse et douceur. Dans mes bras, elle me rappelle Saradush. Elle avait un visage qui ressemblait au sien mais ses oreilles étaient plus longue, elles s'effilaient en de longs plumets au bout, une petite flamme tremblotante tenant encore plus loin. Sa queue était beaucoup plus longue, aussi. Elle s'enflammait tout entière quand elle était en colère. Non, il ne m'était jamais venu à l'esprit de la comparer avec une princesse alors qu'elle vivaient en haut de la plus haute tour du château et qu'elle ne voyait jamais personne. Mettant fin au câlin, je sentais que j'avais repris un peu de confiance en moi. J'entrepris de lui répondre d'une voix faible :

« Je m'appelle M. Pluie, Princesse. Toutes ses lumières... elles... elles me brulent les yeux. Princesse...Aidez-moi... »

Je m'étais de nouveau mis à pleurer. J'avais peur. Je ne savais pas où je me trouvais. Je voulais partir de ce Soleil aveuglant. Je me recroquevillais. Pourquoi en étais-je arrivé là ? J'étais bien, pourtant, chez moi. Pourquoi j'en étais parti. Je ne pensais pas que faire trois pas suffiraient à tout changer. Ce n'étais qu'un jeu. Je voulais rentré. Secoué de sanglots, je me relevai, sans rien voir autour de moi que des tourbillon lumineux. Sans savoir où j'allais je me mis à courir. Je me cognais bien vite contre quelque chose. Je me laissai glisser au sol, désespéré. Et je poussais cet obstacle qui tourna comme sur un pivot pour me laisser place au vide. Un murmure terrifié :

« Princesse... »

HRP:

« Princesse. »

Cléopâtre avait eu le droit à de nombreux surnoms — malheureusement pas tous aussi honorifiques qu'elle l'aurait souhaité —, et Princesse en faisait partie, mais ils venaient rarement aussi spontanément. Comme quoi, son aura était réelle, pas comme ce clebs qui ne dégageait rien du tout, haha ! Étaient-ce son magnifique regard et sa pupille fendue, ou peut-être sa démarche altière, son maintien fier ? Oh, elle ne prenait pas la grosse tête, elle était simplement réaliste : certains individus doivent s'imposer pour être écoutés ; elle, il lui suffisait d'un miaulement pour attirer l'attention d'une foule d'enfants surexcités. Enfin. Ça marchait presque à chaque fois. Souvent. De temps en temps.

Le contact d'une main tiède sur son pelage la fit revenir à la réalité. Un long frisson la parcourut du bout des oreilles jusqu'à la pointe de la queue tandis que les doigts du petit garçon parcouraient son corps trempé. Dire qu'elle avait failli oublier à quel point il faisait froid, même si le soleil était revenu. Elle ronronna et appuya le haut de son crâne contre sa main, toute fierté oubliée, réclamant — voire suppliant — d'autres caresses.

« Princesse. Ne me laissez pas tout seul. S'il vous plaît. »

Elle avait bien fait de venir, tout compte fait : il était vraiment désespéré, celui-là. Dire qu'il venait d'arriver dans la colonie ! C'était bien triste, d'être dans un sale état avant même d'avoir découvert son Domaine. Mlle Chat interrompit une fraction de seconde son ronronnement quasi-continu lorsque l'enfant la serra maladroitement contre lui, avec une force qui faisait clairement comprendre à quel point il avait besoin d'une étreinte réconfortante. Elle lui donna un coup de langue râpeux sur la joue.

« Mais oui, je resterai avec toi, c'est pour ça que je suis là. »

Il la relâcha et elle s'étira machinalement.

« Je m'appelle M. Pluie, Princesse. » Ah. Elle en avait vu défiler, des prénoms, mais celui-ci était des plus singuliers. « Toutes ses lumières... elles... elles me brulent les yeux. Princesse... Aidez-moi... »

... De quoi parlait-il ? Affolée, Cléopâtre regarda autour d'eux, à la recherche d'une source de lumière susceptible d'aveugler M. Pluie, mais il n'y avait rien d'autre que la lumière faiblarde d'un soleil qui peinait à s'imposer dans le ciel chargé. Ses yeux étaient-ils sensibles à ce point ? Mais elle n'eut pas le loisir de se poser plus de questions que de gros sanglots se faisaient entendre, et qu'il se recroquevillait sur lui-même. Peinée et inquiète pour sa santé, Cléo voulut poser une patte sur son genou pour appuyer dessus, cherchant à le faire réagir ; mais il se leva d'un bond, partit en zigzaguant vers les grandes grilles, manquant de tomber à trois reprises, avant de se cogner brutalement contre les portes. Mlle Chat eut tout juste le temps d'accourir tandis que les portes s'ouvraient. Elle entreprit de le rassurer en parlant d'un ton tranquille :

« Ça va ? Au pire des cas tu auras une petite bosse, ne t'inquiète pas, c'est pas bien grave. Frotte bien là où tu t'es cogné, ça évitera d'avoir un énorme bleu. Allez viens, on va aller à l'intérieur. Les portes se sont ouvertes, elles ne le font que pour les Angelots, c'est que tu en es un. On va vite rentrer, suis-moi. »

Elle attendit de le voir se redresser pour s'élancer vers le Paradis sur Mesure. Elle ne jeta pas un regard derrière elle. Il fallait qu'il marche de lui-même pour la suivre ; elle ne pouvait pas le porter ou l'aider à avancer, elle n'avait donc pas d'autre solution. S'il n'y voyait rien à cause du soleil, il se guiderait à sa voix.

« Les jardins sont magnifiques ! Décidément, j'adore la forme des ruisseaux. Bon, nous on va par là-bas, le grand bâtiment blanc cubique. Tu vas voir, à l'intérieur c'est magique ! J'y suis allée une seule fois, pour Laurelin — mais elle n'est plus là, c'est dommage, elle était très gentille —, je ne m'en remets toujours pas. Ne prends pas peur et profite, d'accord ? Allez hop, on y va. »

Et ils entrèrent dans le Paradis sur Mesure.

Spoiler:

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