Constentin Till

Huit heures, le réveil sonne, et pourtant, c’est les vacances. Constentin agite mollement sa main dans l’espoir d’éteindre ce fléau matinal. Ouf. Le tourment strident est fini. Il prend son temps pour se lever, mais, sa mère le presse. Elle a une surprise pour lui. Constentin, intrigué, se lève, mais prend le temps pour regarder le ciel par la fenêtre de sa chambre. Le soleil est déjà haut dans les cieux, et les nuages se font rares dans le bleu céleste qui peint la voûte du monde. Après ce moment d’intense contemplation, il enfile ses vêtements, un par un, avec la plus grande précaution. Sa mère et son père l’attendent dans la cuisine. Ils lui présentent un petit déjeuner complet que le jeune garçon prend plaisir à déguster. Puis, soudain, Constentin lève les yeux et aperçoit le sourire peu naturel et sadique de ses parents.

-On va au cirque aujourd’hui !

Mais le jeune garçon n’est plus dupe. Il sait. Il sait que le cirque n’est qu’un prétexte, un pré vert et goutteux avant l’abattoir, un bien pour un grand mal. Qu’est-ce que ça allait-être cette fois ? Le dentiste ? Le vaccin ? Le psychologue ? Constentin soupire bruyamment. Il en a marre des duperies des adultes, des supercheries qui sont censées vous rendre un meilleur homme plus tard. Le monde adulte est un monde mensonger. Du haut de ses dix ans, sa conception du monde était rodée et parée contre toutes éventualités trompeuses que ses parents concoctaient. De toute façon, les éventualités, il les connaissait déjà toutes. Ses géniteurs manquaient cruellement d’imagination.

Constentin feint la joie. Autant leur faire ce plaisir. Qu’ils pensent que leur petit jeu idiot a marché. Au cirque, le malin petit garçon sait ce qui l’attend, mais il profite de l’instant. Il voit les jongleurs, les funambules, les clowns et les dompteurs comme des artistes. Des Grands artistes. Qui égaient les enfants en montant de beaux numéros et donnent aux adulte un répit pour leur train-train quotidien. A la fin du numéro, quand Constentin se rassoit dans la voiture, il entend bien les portes se verrouiller. Mais il fait comme si. Il prétend. Et, qu’il prétend bien ! Sur la vitre, faisant comme si de rien était, il dessine des oiseaux avec son doigt. Puis, il ferme ses paupières et attend que la lame tombe sur son cou. Le moteur s’arrête. Bingo. Le psychologue.

Ses parents n’ont toujours pas compris qu’il apprécie seulement les belles choses de la vie. La psychologue ouvre la porte, se donnant des airs mielleux et amicaux. Encore une qui pense duper les enfants. On ne lui a pas appris pendant ses neuf années de médecine qu’un enfant n’était pas idiot. Pourtant, elle aussi a été enfant. Constentin se met à penser à l’allure de la grosse femme rousse qui jouait la psychanalyste lorsqu’elle n’était qu’un bambin.

-Alors Constentin, ça va ? fit-elle comme exprès pour le sortir de sa rêverie.

-Oui, très bien et vous ? Et, sans la laisser répondre : Je regrette un peu l’ancien bleu des murs. Cet orange n’est pas très harmonieux.

Comme pris d’une vieille habitude, après avoir parlé de formalités avec la docteur, Constentin dessine quelques fleurs et des papillons sur les feuilles que le bureaux lui offre. L’adulte est sans prise sur le jeune garçon. Constentin sort de la pièce, inchangé de quand il était rentré. Sa mère l’attend. Son père était parti pendant la consultation. Note à soi-même : les adultes ne sont pas non plus patient.
De retour chez lui, le petit Constentin s’accoude à sa fenêtre. Il n’a pas faim, il va directement aller se coucher. Malgré tout, il attend que les étoiles se lèvent pour s’endormir. Enfin, quand les petits soleils et la lune font leur apparition dans le firmament, il déplace son coussin sur le rebord de sa fenêtre, s’assoit dessus, et finalement s’endort.

Bonjour, bonjouuuur ! Vous n’avez pas peur, tout de même ? Ce n’est pas parce que je suis fait de verre et que je réfléchis votre image qu’il faut être apeuré ! Ah, oui. Ce qui vous fait le plus peur c’est que je parle. Rassurez-vous, ce n’est pas réel. C’est juste une auteure délirante qui a voulu me faire parler. Oui, je crois qu’elle n’a plus toute sa tête. Mais bon, hein, c’est pas comme si j’allais m’en plaindre, ça fait longtemps que j’attends ce moment ! Le moment de vérité, ou je pourrais décrire ceux qui se regardent dans moi. A vrai dire, il n’y a qu’une personne ici qui prend le temps de regarder son reflet. C’est Constentin, le petit garçon aux cheveux blond vénitien et aux yeux miels. Il est plutôt grand pour son âge, et un peu chétif à mon goût. Mais, j’ai toujours préféré les humains bien en chair plutôt que ceux qui sont frêles. Les plus gros mettent logiquement plus de temps à observer leur reflet. Pour revenir à Constentin, je dirai qu’il a le potentiel de devenir un fort joli garçon. Son sourire est déjà charmant, et son nez semble bien parti pour demeurer légèrement en trompette, ce qui lui donnera, j’en suis sûr un atout remarquable auprès de la gente féminine.

Son style vestimentaire est simple, quoiqu’un peu vieillot. Mais bon, ce n’est pas sa faute, c’est sa mère qui refuse qu’il porte d’autres vêtements. Quoi, je vais bientôt arrêter de parler ? Ah. La dérangée qui écrit ça a fini de parler du physique de Constentin et n’a plus besoin de moi. Dommage. On se verra peut-être une prochaine fois ! >>

La psychologue de Constentin est assise sur la chaise de son bureau mal éclairé. Ses doigts potelés feuillettent le dossier médical du jeune garçon. Il n’a pas vraiment de problème. Il aime seulement les belles choses, pense la femme en souriant un peu. Le pauvre, ses parents pensent qu’il est fou. Mais non, bien au contraire. C’est peut-être le plus censé de sa famille. Le plus étonnant chez Constentin, c’est son habilité à toujours voir le verre à moitié plein. Quoiqu’il arrive, son tempérament optimiste guidera toujours ses actions. Son imagination et ses pensées débordantes ne sont en rien un mal pour lui. La psychologue pense même qu’elles l’aident à s’épanouir correctement dans une famille aussi stricte que la sienne. En plus de tout cela, le petit garçon est gentil et généreux de nature.

Non, vraiment, la docteur ne comprend pas pourquoi Constentin vient prendre des consultations chez elle. Une petite voix lui souffle d’appeler les parents du petit garçon pour leur informer que revenir la voir ne serait qu’une perte d’argent et de temps pour eux. Alors elle prend le combiné, et les informent que la seule chose qu’on pourrait reprocher à leur fils s’est d’être un peu trop tête en l’air. Elle les rassure en disant que personne n’est jamais mort de ça.
Son coup de fil terminé, elle range le dossier de Constentin dans un tiroir métallique avec la ferme intention de ne plus jamais le sortir. Tout de même, la docteur aimerait bien savoir comment il deviendrait, plus tard…